"L’Organisation mondiale de la santé (OMS) appartient à Bill Gates" et "le vaccin Covid utilisera une technologie expérimentale et modifiera de façon permanente votre ADN…" Les fake news vont bon train sur Internet, disséminées à grande échelle par le biais des réseaux sociaux. Et tous les internautes ne sont pas égaux face à ce phénomène. L'âge joue un rôle.
Les utilisateurs âgés de plus de 65 ans partagent jusqu’à sept fois plus de fausses informations que les jeunes de 18 à 29 ans, selon une étude publiée dans Science Advances, réalisée pendant l’élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis. En France, 30% des internautes reconnaissent avoir déjà relayé des fake news, selon un sondage Odowa Dentsu-Consulting réalisé en 2019, contre 31% pour l’année 2018. Ceux qui déclarent s’informer principalement grâce aux réseaux sociaux sont même 45%, soit près d’un sur deux, à avoir déjà partagé des fausses informations.
Mais pourquoi les personnes âgées partagent-elles plus de fausses informations que les jeunes ? Il existe deux théories très répandues, explique Nadia Brashier, postdoctorante en psychologie à l’université d’Harvard. Première explication souvent entendue : les personnes plus âgées auraient des problèmes cognitifs et peineraient à faire des choix aussi éclairés que les jeunes. Deuxième explication souvent invoquée : la solitude. Les seniors partageraient des informations sans trop prêter attention à leur véracité dans le but d’établir un contact avec d’autres personnes sur Internet. Mais aucune de ces deux théories n’est satisfaisante selon l’analyse de Nadia Brashier, publiée en mai 2020 dans la revue spécialisée Current Directions in Psychological Science.
Déclin cognitif et cercles d’amis
Elle y explique par exemple que s’il est vrai que la mémoire peut décliner avec l’âge, notre capacité à intégrer et à comprendre des informations reste inchangée lorsque nous veillissons. En général, la connaissance s’étend même de plus en plus. "Différentes capacités cognitives peuvent, en effet, décliner à des vitesses différentes. Et certaines ne déclinent pas du tout. Ces capacités, toujours intactes, permettent de compenser d’autres déficits", explique Nadia Brashier. Sur le plan cognitif, les recherches ont montré que "les adultes plus âgés s’en tiennent à ce qu’ils savent et on tendance à rejeter ce qui contredit leurs connaissances." Ajouté à cela, "une seule exposition à un titre de journal tel que 'Donal Trump envoie son propre avion pour transporter 200 marines naufragés' suffit à augmenter leur croyance en cette information lorsqu’ils la reverront plus tard" sur un autre site de fake news.
Pour ce qui est de la solitude, la chercheuse rappelle que "les adultes âgés ne constituent pas le groupe de population le plus sujet à la solitude. Pour le moment, les scientifiques ne disposent d’aucune donnée permettant de prouver que les personnes isolées postent plus de fausses informations." En revanche, avec l’âge, les internautes commencent à perdre des membres de leur cercle d’amis, ce qui les conduit parfois à placer leur confiance dans de mauvaises personnes. "Avec moins de liens sur les réseaux sociaux, les seniors tendent à penser que les contenus partagés par leurs amis sont toujours vrais." Ce qui n’est pas nécessairement le cas, même si leur lien affectif est fort.
Enfin, leur manque de maîtrise de la culture numérique les dessert également. Nadia Brashier rappelle que des travaux scientifiques datant de 2017 ont montré que dans un tiers des cas, les seniors ne parviennent pas à détecter une image retouchée. Ce genre d’image accompagne souvent les articles de fake news. "Ils ne voient pas qu’un objet a été ajouté ou enlevé de la photo, que les angles sont tordus [à cause des retouches sur la photo, ndlr], ou que les ombres sont mal placées." Ils ont aussi tendance à ne pas prêter attention au fait que les fake news s’accompagnent aussi d’images non informatives. Par exemple, un article un article titré "les alpagas ont une mastication en forme de 8" mais illustré avec des animaux sans nourriture dans la bouche.
Le fact checking ? Contreproductif
Certains réseaux sociaux, comme Facebook, ont intégré des fonctions de fact cheking dans le but de ralentir la progression des fake news. Les médias, comme les sites web d’informations, disposent parfois de services dédiés au fact checking. Mais pour un public plus âgé, ces contenus "certifiés" pourraient avoir l’inverse de l’effet escompté.
"Cela peut sembler ironique, mais voir un contenu plusieurs fois épinglé comme 'faux' augmentent l’intérêt et même la croyance des adultes âgés à l’égard de ce contenu pourtant faux." Finalement, le fact checking tel qu’il est fait aujourd’hui ne correspondrait tout simplement pas à une cible d’internautes âgés. Si les plateformes telles que Facebook souhaitent mieux cibles leurs utilisateurs plus âgés, ils devraient s’intéresser plus à leurs relations interpersonnelles ainsi qu’à leur maîtrise de la culture numérique.
Malgré tout, les internautes plus âgés se disent moins enclins à partager des fake news. "L’intention des seniors s’inscrit finalement en fort contraste avec leur comportement réel en ligne. Ce décalage pourrait bien illustrer à quel point ils ne comprennent pas bien les algorithmes ou le fait qu’ils ne comprennent pas que partager une information implique une approbation implicite de celle-ci." Aujourd’hui, des technologies de plus en plus sophistiquées de deep fake se développent grâce à l’intelligence artificielle. Ces dernières sont par exemple capables de générer des vidéos de faux discours tenus par des leaders politiques.
En parallèle, le vieillissement de la population ne cesse de s’accélerer, ce qui pourrait encore intensifier la propagation de fake news dans les années à venir. Aux Etats-Unis, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans aura doublé d’ici à 2050. En France, la population des personnes âgées de 65 ans et plus est passée ainsi de 16,2% en 2003 à 19,7% en 2018 selon l’Insee. Ils représentent 2,6% des utilisateurs français de Facebook.